Le livre de la création : approches exégétiques
- Doréus Mercidieu
- 6 nov.
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Bien qu’il soit identifié comme un corps unifié, cohérent et complet, le canon biblique[1], appelé aussi « canon des livres inspirés », est constitué d’une collection de 66 livres, marqués par des personnages clés, des histoires particulières, des messages et des destinataires différents. La Genèse, au regard de sa signification émanant de la tradition chrétienne, est le livre du « commencement » ou des « commencements, puisqu’à l’intérieur, est relaté diverses réalités qui ont pris forme telles le monde, le péché y compris Israël, le peuple de Dieu. Ayant moi-même grandi dans le milieu chrétien, j’ai découvert très tôt le pentateuque, pendant mon adolescence, lorsque je suivais des cours à l’école du dimanche. À l’époque, notre enseignante nous fait apprendre par cœur les cinq premiers livres du Pentateuque[2], et c’était toujours avec beaucoup de fierté que les enfants allaient gravir le podium de l’église pour faire valoir leur connaissance de la Parole. En Hébreux, on les désigne tout simplement sous le nom de Torah qui signifie instructions. https://youtu.be/RRknZsHm6WY?si=z4X0cwC_0hPvKGqJ
Panorama de la Genèse
Beaucoup de questions se posent quand on étudie le livre de la Genèse, des questions en lien avec son auteur, son inspiration et la pertinence de son message pour le monde contemporain.
Inspiration et paternité
Tiré du grec Theopneustos « Souffler dans » ou « insuffler dans », l’inspiration représente un terme central quand il est question de parler d’un livre de la Bible, de l’autorité de son message et de la relation des humains avec elle.
Cette doctrine sous-tend que, les auteurs de la Bible, bien qu’ils soient vus comme des instruments de Dieu, ne jouaient cependant pas un rôle déterminant dans la transmission de la révélation. Ils apparaissent plutôt comme des agents presque passifs, des canaux utilisés par Dieu pour faire couler l’eau.
En ce sens, les écrivains de la Bible ne parlaient de leur propre chef, mais en raison de ce qui leur avait été dicté. La Bible, selon Pierre, n’est pas l’émanation de la pensée humaine mais un processus divin mécanique dans lequel l’auteur ne pouvait rien conçu par lui-même. Car ce n’est pas une volonté d’homme qu’une prophétie a jamais été apportée, mais c’est poussé par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu (2 Pi. 1 :21). Les érudits sont unanimes à reconnaître Moïse comme l’auteur de la Genèse, y compris les autres livres du Pentateuque, ce, même en raison du fait que son nom n’y est nulle part mentionné littéralement. Comme ce fut le cas pour le reste de la Torah, la tradition juive, en s’accentuant sur certains passages du pentateuque tels Exode 24 :4-7 [3], adopte la position que la Genèse fut dictée par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï.
À l’intérieur du livre d’Exode, il y a plusieurs évidences à propos de la relation de Moïse avec l’écriture de la Genèse qui est exprimée sous le couvert du thème de l’inspiration verbale et plénière[4]. Les chapitres 17 et 24 de ce livre, autant qu’ils soient nécessaires pour comprendre le Pentateuque dans sa globalité que pour comprendre la Genèse en particulier, décrit le mode de relation que Moïse avait développé avec Dieu. Il écrivait donc que ce qui a été conforme à la volonté du Père – ce que Dieu lui-même lui ordonnait d’écrire (Ex. 24 :4-8 ;17:14 ; 34 :27). Jésus, sans le dire ouvertement, attribuait la paternité du Pentateuque à Moïse (Mt 8: 4 ; 19: 7-8; Mc. 1:44 ; 7:10 ; 10:3-4; Lu. 5:14; 16:29,31). Luc et Paul se réfèrent aussi autant à Jésus qu’à Moïse (Ac. 8:22, 13:39 ; Rm. 10:5, 19 ; 1 Cor. 3:15).
Manley et Robinson, deux interprètes assez crédibles du pentateuque, mettent toutefois en garde contre cette tendance à attribuer l’intégralité de la Genèse à Moïse. La mosaïcité du Pentateuque ne peut en aucun cas exclure des additions postérieures. Cela semble être une évidence au regard de certains textes comme Nombres 12:3; 21:14 et Deutéronome 34 qui rapportent la mort de Moïse. On admet que ces textes posent un problème au niveau de la cohérence logique si on admet que Moïse en est leur auteur. Logiquement inacceptable, car nul ne peut être témoin de sa mort. Les texte de Genèse. 12 :6; 13 :7; 36 :9-43 font aussi partie de cette exception.
Les études de Diana V. Edelman et Phillip R. Davies (2013) basées sur les recherches d’Isaac Ben Jésus et Abraham Ibn Ezra établirent confirment la position que Moïse ne pouvait pas être l’auteur de l’intégralité du Pentateuque. Ibn Ezra établit une liste de versets « post mosaïques »[5]. Au XVIIe siècle, le questionnement se fait plus systématique, surtout avec Spinoza (1632 -1677) et Hobbes (1588 – 1679)[6]. Dans son Traité théologico-politique de 1670, Spinoza développe ses thèses sur la Bible dans son ensemble et passe en revue les difficultés vues par Ibn Ezra en ce qui concerne la paternité mosaïque avant de conclure que le Pentateuque n’a pas été écrit par Moïse mais par quelqu’un d’autre qui a vécu de nombreuses générations plus tard.[7]
[1] Par extension, ce mot s’applique à « ce qui est mesuré », suivant une règle déterminée). On peut l’employer, en ce qui concerne les Écritures, dans ces deux acceptions puisque ces livres sont une règle et un guide donnés par Dieu, et qu’ils sont conforme au critère de l’inspiration. Le terme de canonique, quand on l’applique à l’Écriture, ne veut pas dire que ces livres puisent leur autorité dans un décret pris par un groupe d’hommes : ils la possèdent parce qu’ils portent manifestement l’empreinte de leur divine origine et qu’ils ont été distingués de tous les autres (G. T. Manley, Le Nouveau manuel de la Bible …, p.35). Les livres canoniques sont aussi appelés livres inspirés de Dieu. À l’opposé, les livres non inspirés sont des livres apocryphes ou deutérocanoniques. Par définition les livres apocryphes désignent plusieurs livres de date et de genre divers dont l’appartenance à la liste officielle des Écritures fait l’objet de discussions au cours des âges. Ces livres sont : 1et 2 Esdras, Tobie, Judith, la Sapience de Salomon, l’histoire de Suzanne, Bel et le Dragon, la prière de Manassée, 1 et 2 Macchabées, Sagesse, Siracide, Baruch et la lettre de Jérémie.
[2] Genèse, Exode, Nombre, Deutéronome et Lévitique
[3] Ces passages décrivent Moïse dans sa posture d’historien et mémorialiste. C’est Moïse qui rédigeait, de ses propres mains, le récit de la bataille d’Israël contre les Amalécites (Ex. 24:4-7).
[4] Thèse affirmant que tous les mots de la Bible sont inspirés. De son côté, Pierre dira plus tard que « Ce n’est nullement par une volonté d’homme qu’une prophétie n’a jamais été apportée, mais c’est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P. 1:21).
[5] Abraham Ibn Ezra, rabbin du XIIe siècle, est un deuxième interprète du Deutéronome. Ibn Ezra était brillant et respecté et rechignait à rompre avec la tradition trop rapidement – y compris avec la tradition selon laquelle Moïse a écrit le Pentateuque. Il note plusieurs passages dans le Pentateuque qui lui semblent incompatibles avec l’idée que Moïse en est l’auteur : Moïse n’a pas traversé le Jourdain (le problème du Deut. 1 :1-5)
§ Ibn Ezra réfère énigmatiquement à un « mystère des douze » concernant la rédaction par Moïse. Le philosophe Spinoza du XVIIe siècle (voir ci-dessous) le comprend comme référant à Deut. 27 et Jos.8 :37, où le livre entier est gravé sur un autel de douze pierres. Apparemment, le « livre de Moïse » était assez petit pour tenir sur un petit espace et donc ne pouvait pas inclure tout le Pentateuque.
§ Ibn Ezra sent que le récit à la troisième personne de la vie de Moïse pose problème pour l’hypothèse d’un Moïse auteur, en citant Deut.31 :9 (« Moïse écrivit cette loi »).
§ Selon Gn.22 :14, la montagne de Dieu s’appelle la montagne de Morija. Morija n’est mentionnée encore que dans 2 Chroniques 3 :1 comme le lieu du temple. En citant cela, Ibn Ezra a peut-être pensé que la référence à Morija dans la Genèse est anachronique. L’écrivain de la Genèse a vécu beaucoup plus tard et a placé cette référence à la Montagne de Morija au temps d’Abraham pour légitimer le lieu du temple.
§ Selon Deut.3 :11, le lit de fer d’Og, roi de Basan, long de neuf coudées est resté à Rabbath. Pour Ibn Ezra, cela ressemble à l’explication d’une ancienne relique. Il attribue ce commentaire au temps de David qui conquiert la cité en 2S12 :30.
§ Dans Gn 12 :6, lors du séjour d’Abraham dans le pays promis, le narrateur commente : « en ce temps… ». Ibn Ezra en conclut que ce commentaire fut écrit alors que les Cananéens n’occupaient plus le pays.
[6] Léviathan, 1651
[7] Peter Enns, Quand la Genèse a-t-elle été rédigée et pourquoi est-ce important ? https://scienceetfoi.com/date-redaction-genese-interet/#_edn6

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